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Élisabeth

OUIIII! J’ai eu le prix Jeunesse (et 50 euros Mouhahha!) avec ma nouvelle sur Élisabeth.
Mais bon, s’il faut écrire des textes tristes pour gagner, c’est pas top.
Moi, je préfère écrire des histoires joyeuses. 🙂

Le thème c’était : Au détour d’un chemin, j’ai rencontré mon double.

PS : Et c’est mon dessin pour une fois qui illustre la nouvelle.

En cette froide journée d’hiver, Élisabeth marchait lentement entre les arbres décharnés. Elle soufflait en vain dans ses mitaines pour tenter de réchauffer ses doigts gelés. Ses guêtres étaient déchirées et la neige entrait dans ses bottines usées. Pendant que les flocons tombaient en silence sur sa cape noire, Élisabeth se rendit à l’évidence : elle s’était perdue dans les bois.

Chaque dimanche, elle traversait la forêt pour apporter des vivres à ses grand-parents dans leur modeste chaumière. Cette fois, Maman lui avait confié deux gros pains, des navets et même des noix. Élisabeth sourit en repensant à la joie de ses grands-parents quand elle avait sorti toutes ces bonnes choses sur la table. Ils étaient surtout heureux de la voir et disaient qu’elle était comme un rayon de soleil qui réchauffait leurs cœurs à chaque visite. Élisabeth passa une bonne partie de la journée avec eux et les quitta à regret pour pouvoir rentrer avant la nuit. Sa grand-mère l’avait serrée fort dans ses bras pour garder le souvenir de sa petite-fille en elle, pendant la longue semaine à venir. Son grand-père lui avait proposé de rester pour la nuit, sentant que le vent qui s’annonçait était mauvais. Mais Élisabeth ne voulait pas inquiéter les siens et puis il fallait à peine une heure de marche pour rentrer.

Le vent était aussi mauvais que son grand-père l’avait prévu et la neige ne cessait de tomber. Élisabeth avait hésité à rebrousser chemin, certaine que son grand-père était parti à sa recherche. Elle s’en voulait de le savoir dehors à cause d’elle. Il était brave, mais plus tout jeune. Élisabeth avait hâte de retrouver sa famille. Ses parents devaient s’inquiéter. Ses petites sœurs devaient l’attendre avec impatience pour entendre l’un des contes qu’elle leur imaginait chaque soir avant de dormir. Même ses diables de grands frères devaient être un peu soucieux.

Élisabeth arriva à un carrefour qu’elle n’avait jamais vu. Elle n’aurait pas pu oublier cet arbre aux formes bizarres semblant garder l’entrée des deux chemins qui s’offraient à elle. Comment avait‑elle pu s’égarer ainsi ? Elle devait être vraiment très loin de son foyer.

— Tu es perdue ? demanda une voix dans son dos.

Élisabeth sursauta et se retourna vivement. Une petite fille la fixait avec un regard compatissant en tenant bien haut une lanterne. Élisabeth la regarda de haut en bas : les boucles rousses, les yeux marron exprimant à la fois douceur et tristesse, les taches de rousseur autour de ce petit nez retroussé… Cette fille était son double !

Élisabeth recula de quelques pas. La ressemblance était frappante, à part les vêtements qui étaient différents. L’inconnue portait une longue robe blanche. Malgré la finesse de l’étoffe, elle ne semblait pas ressentir le froid.

— N’aie pas peur, dit l’inconnue d’une voix rassurante.

— Qui es-tu ? demanda Élisabeth.

— Tu peux m’appeler Blanche. Prends cette lanterne, Élisabeth.

Blanche s’approcha et tendit sa lanterne. Pourquoi cette fille lui ressemblait tant ? Comment connaissait‑elle son prénom ? Élisabeth regarda Blanche dans les yeux et rassurée par sa douceur elle prit la lanterne. Elle s’agenouilla aussitôt dans la neige, posa la lampe devant elle et s’en servit pour réchauffer ses doigts bleutés.

— Je vais t’accompagner chez toi, dit Blanche en posant une main délicate sur l’épaule gelée.

— Je suis totalement perdue, répliqua Élisabeth.

Elle tourna la tête et pointa l’arbre tortueux du menton en ajoutant :

— Je n’ai jamais vu cet arbre.

— Celui-ci ne te concerne pas, tu es trop jeune. Le bon chemin est à droite.

Élisabeth se sentait mieux, cette lanterne était tellement apaisante. Elle lui donnait envie de dormir… Élisabeth se ressaisit soudain. Pas question de s’assoupir. Elle devait retrouver sa famille au plus tôt, la nuit commençait à tomber.

Élisabeth et Blanche marchaient sur le large sentier entre les arbres qui semblaient les observer. Élisabeth avait mille questions à poser à Blanche et elle s’apprêtait à le faire quand son sosie lui demanda :

— Dis-moi que faisais-tu seule dans les bois à cette heure ?

— J’apportais des vivres à mes grands-parents et je me suis perdue en rentrant.

— Il y avait des noix dans ton baluchon ?

Élisabeth s’arrêta de marcher. Comment Blanche pouvait-elle savoir ça ?

— Oui. Grand-père les adore.

— Toi aussi, n’est-ce pas ? demanda Blanche.

Élisabeth acquiesça en silence. Elle s’en voulait de douter de cette gentille fille qui lui venait en aide, mais tout cela commençait à l’inquiéter.

— Tu n’as pas eu envie d’en manger pendant ton trajet ?

— Un peu, mais elles n’étaient pas pour moi, répondit Élisabeth.

Blanche esquissa un petit sourire, tendit son bras vers le bout du chemin qui se séparait en deux et dit :

— Il faut prendre à gauche, cette fois.

Élisabeth remarqua un arbre difforme entre les deux nouveaux sentiers. Son tronc était très gros et ses branches rachitiques comme s’il était gonflé de l’intérieur.

— Tu as déjà volé quelque chose ? demanda Blanche.

Élisabeth s’arrêta encore et fixa Blanche qui ne se retourna pas, attendant sa réponse.

— Oui, répondit Élisabeth en baissant les yeux.

— Quelque chose qui te faisait envie ? Interrogea Blanche en regardant par-dessus son épaule.

— C’était du lait pour un petit chaton que j’avais recueilli. On n’en avait pas à la maison. À la ferme des Grandville, il y en a à profusion et…

— Tu ne l’as pas pris par envie, c’est tout ce que je voulais savoir. À la prochaine bifurcation, nous prendrons à droite.

Les deux petites filles arrivèrent devant un autre arbre qui trônait à une nouvelle fourche du sentier. Élisabeth aurait juré que ses longues branches voulaient lui prendre sa lanterne. Elle pressa le pas, un peu angoissée.

Désormais, il faisait nuit noire. Élisabeth leva les yeux au ciel et fut surprise de ne voir aucune étoile. Il neigeait toujours, mais les flocons étaient légers et peu nombreux. Élisabeth n’avait plus froid, sûrement grâce à cette lanterne si apaisante.

— Tu as sommeil ? demanda Blanche.

— Oui, je suis épuisée et cette lanterne…

— … donne envie de dormir, je sais. Tu veux faire une petite pause ? Regarde, il y a un endroit sans neige sous ce sapin.

Élisabeth hésita. Ses paupières étaient lourdes, ses jambes la portaient difficilement. Une petite sieste contre cette douce lanterne pourrait…

Elle repensa soudain à sa famille et secoua la tête avec énergie pour se réveiller :

— Non merci, Blanche. Je dois continuer, on m’attend. Je me reposerai plus tard.

Elles arrivèrent à une nouvelle intersection. Un arbre était couché sur le flanc, mais il n’était pas coupé. Il avait juste poussé comme ça le long du sol comme un gros paresseux.

— Où sommes-nous Blanche ? osa demander Élisabeth. Ce n’est pas la forêt que je connais.

— Tu penses connaître chaque recoin de ta forêt ? demanda Blanche.

— Non bien sûr, répondit Élisabeth. Mais mon Papa est bûcheron, il la connaît bien et il m’aurait parlé de ces arbres étranges.

— Ton père est bûcheron et toi ? Tu as un domaine pour lequel tu es douée ?

— Je suis trop petite pour ça, répondit Élisabeth en riant.

— Pourtant, tu es une bonne conteuse pour une petite fille de dix ans.

Élisabeth secoua la tête en souriant :

— Je raconte des histoires à mes petites sœurs, c’est tout.

— Oui, mais des histoires nouvelles chaque soir. Des histoires que tes parents écoutent aussi. Même tes frères qui font semblant de dormir par fierté attendent tes contes avec impatience.

— Je ne savais pas, chuchota Élisabeth en arborant un large sourire.

— Tu souris parce que tu es fière de ton talent ? demanda Blanche.

— Oh non, répondit Élisabeth. Je souris en pensant au bonheur que je leur ai apporté.

— Tu vois ce grand arbre bien droit au tronc si fin ? demanda Blanche en montrant la prochaine intersection. Cet arbre qui met tout sa force pour surpasser les autres sans se rendre compte que ses racines ne sont pas assez grandes pour le supporter ?

Élisabeth hocha la tête.

— Nous allons passer à sa droite, annonça Blanche en reprenant sa marche.

Il ne neigeait plus. Il sembla même à Élisabeth qu’il ne faisait plus aussi froid, comme si l’hiver était fini. Elle se sentait bien, même sa fatigue s’estompait.

— Ce lait que tu as volé… commença Blanche.

— Je ne regrette pas mon geste, chuchota Élisabeth.

— Mais tu sais que c’est un péché ? demanda Blanche.

— Oh, tu sais à la maison on ne s’occupe pas trop des affaires d’église.

— Tu ne vas pas à la messe ? s’étonna Blanche.

— Mes parents ne sont pas croyants et ne m’ont jamais forcée à l’être, répondit Élisabeth.

— Tu ne crois pas en Dieu ? demanda Blanche avec un air grave comme si la réponse de sa petite protégée allait décider de son destin.

Élisabeth hésita un peu et répondit d’une voix triste :

— Je n’y crois plus depuis la mort de Grelotte.

— Qui est Grelotte ? demanda Blanche.

— Le petit chaton pour qui j’ai volé du lait, répondit Élisabeth. Je l’ai trouvé grelottant de froid, un matin. J’ai tout fait pour le réchauffer contre moi. Mais, il n’arrêtait pas de miauler. Il mourrait de faim.

— C’est pour ça que tu ne regrettes pas ce vol, dit Blanche semblant comprendre la situation.

— Ça n’a servi à rien, ajouta Élisabeth alors qu’une grosse larme coula le long de sa joue. Le petit chaton est mort dans mes bras.

Élisabeth essuya la larme rapidement et continua :

— Je lui ai donné un nom et je l’ai enterré. C’était la semaine dernière.

— Tu étais en colère ? demanda Blanche.

— Non, juste très triste, expliqua Élisabeth. Je ne crois plus en Dieu, depuis ce jour.

Blanche guida Élisabeth à gauche d’un arbre aux branches courtes et fines dressées comme des flèches tout autour de son tronc. Blanche laissa Élisabeth passer devant elle et dit :

— Nous sommes bientôt arrivées. J’ai une dernière question pour toi. Que ferais-tu si tu trouvais une pièce d’or ?

— Une vraie pièce d’or ? Je la donnerai à mes parents pour réparer le toit de notre chaumière.

— Parfait, dit Blanche je vais te laisser continuer seule. Quand tu verras un arbre avec des branches recroquevillées, prends le chemin de gauche et tu seras arrivée.

Élisabeth se retourna, mais Blanche avait disparu. Elle regarda autour d’elle, puis cria :

— Reviens Blanche ! Je ne t’ai pas remercié et tu as oublié ta lanterne !

Il n’y eut aucune réponse. Tout était si calme dans cette forêt.

Élisabeth repris sa route trouva l’arbre et s’engagea sur le chemin de gauche. Elle arriva dans une vaste clairière sans neige et le jour se levait.

— C’est impossible, échappa Élisabeth. Je n’ai pas pu marcher tout la nuit.

Elle regarda avec étonnement le soleil qui se levait à toute vitesse. Il reprit un rythme normal en passant l’horizon. Élisabeth regarda autour d’elle. C’était le printemps ! Des fleurs remplaçait la neige, des papillons multicolores remplaçaient les flocons. Élisabeth aperçut des biches au loin. Elle n’avait jamais vu un lieu aussi paradisiaque. Elle échappa sa lanterne de stupeur et celle-ci se changea en une petite boule de poils en touchant l’herbe.

Élisabeth s’agenouilla aussitôt et la prit dans ses mains en pleurant de joie. C’était Grelotte.