Nouveau défi sur le forum des Jeunes écrivains en juillet 2022. Il fallait placer les mots suivants :
Banane, Blasphémer, Druide, Éphémère, Juste, Marbre, Panier, Récifs, Sirop, Tendresse.
Angelica verse délicatement un filet de sirop d’érable sur l’île flottante. Chipie ne devrait plus tarder. Elle adore l’île flottante et sa maman adore lui préparer de bons desserts pour le goûter. Quand Angelica ouvre le frigo pour ranger la bouteille, un lapin entre dans la cuisine et se dresse sur ses pattes arrières devant elle.
— Tu as faim, Neige ?
Angelica s’approche du panier de fruits et prend une banane. Elle en découpe une rondelle sur le plan de travail en marbre et la tend au lapin qui se régale pendant qu’Angelica lui caresse les oreilles. Ce moment de paix est interrompu par le claquement de la porte d’entrée et une cavalcade de petite fille dans la maison. Neige se réfugie sous un meuble avec son morceau de banane.
— J’ai couru tout le long du chemin, il commence à pleuvoir ! crie Chipie en se précipitant dans les bras de sa maman.
— Tu as fait peur à Neige, lui reproche Angelica en caressant avec tendresse la petite tête blonde.
— Désolée Neige, lance la petite fille dans le vide avant de remarquer le dessert qui l’attend sur la table.
— De l’île flottante ! Youpi ! crie Chipie en sautillant sur place.
Neige quitte son abri précaire, patine sur le carrelage et part en bondissant vers une pièce plus calme pour finir sa rondelle de banane.
— L’île flottante ! L’île flottante ! répète avec enthousiasme Chipie en battant des mains.
— Les devoirs ! Les devoirs ! réplique sa maman en l’imitant.
Chipie baisse la tête et les épaules :
— Oh non, c’est pas juste. En plus, le remplaçant nous a donné dix mots à chercher.
— C’est vrai que ta maîtresse est à l’hôpital. Comment l’oublier ? dit Angelica en regardant un peu sévèrement sa fille.
— J’ai déjà dit que j’étais désolée, grommelle Chipie et je lui ai fait un beau dessin pour m’excuser.
Angelica préfère changer de conversation :
— Il est bien ce remplaçant ?
Chipie va chercher son cartable abandonné dans l’entrée en traînant les pieds :
— Il s’appelle monsieur Jihel. Il est gentil, mais c’est un vieux.
— Ce n’est pas incompatible, lui répond sa mère depuis la cuisine.
— Non, mais lui, il est super vieux, genre presque 50 ans, explique Chipie qui revient en traînant son cartable sur le sol par une bretelle. Je suis sûre que son vrai métier, c’est druide.
— Tout de même, ce n’est pas Mathusalem.
— Qui c’est ça ? Un copain à toi ?
— Le grand-père de Noé qui aurait vécu presque mille ans.
— Pff, n’importe quoi ! réplique Chipie en haussant les épaules. Jésus, il n’aurait pas dû changer son eau en vin avant d’écrire son bouquin.
— La Bible n’a pas été écrite par Jésus, précise la maman et il ne faut pas blasphémer.
— Ça risque rien, regarde.
Chipie fixe le plafond et crie :
— Dieu si tu existes, foudroie-moi !
Aussitôt un éclair zèbre le ciel, suivit par le grondement du tonnerre et la pluie se met à cogner rageusement contre les vitres.
— Tu crois que c’est Dieu ? demande Chipie avec les yeux écarquillés. Je peux réessayer ?
— Attention de ne pas finir comme Témérus.
— Encore un copain à toi ?
— Témérus ne croyait pas à l’existence de Poséidon et le défia de contrôler les flots pour précipiter son navire sur les récifs. C’était un bon marin, sûr de lui, il en évita plusieurs mais finit par périr.
Chipie affiche un large sourire et se précipite vers le placard de l’entrée. Elle met ses bottes et son imperméable roses, avant de courir vers la cheminée pour prendre un tisonnier. Elle sort de la maison en riant et va se planter sur la pelouse.
Angelica la suit et s’arrête sur le pas de la porte :
— Tu vas prendre froid, Chipie !
— Je veux tester Dieu ! lui crie la petite sous la pluie battante avant de lever bien haut la pique en métal.
— C’est Benjamin Franklin que tu vas tester, là ! Rentre vite c’est dangereux ! lui crie Angelica d’une voix inquiète.
Chipie gambade sous la pluie en faisant des moulinets avec son tisonnier. Angelica se rappelle avec nostalgie de sa fille qui, à quatre ans, peignait l’herbe en rose pour attirer une licorne dans la pelouse. L’an prochain, Chipie sera au collège. Angelica laisse échapper un soupir. C’est un vrai bonheur de voir grandir ses enfants, mais un bonheur si éphémère.
Angelica sourit encore quand la foudre frappe.
Instinctivement, elle protège ses yeux avec sa main. Elle la baisse rapidement en sentant la chaleur intense et l’odeur de brûlé. Angelica voit avec effroi le sapin en flammes au bord de leur pelouse.
Chipie est figée devant l’arbre qui brûle. Elle reprend ses esprits, pointe son tisonnier vers le ciel et crie :
— Raté, gros lourdaud !