L’écrivaine qui a fini devant moi, d’un point a écrit son texte sans utiliser la lettre A !! Trop forte. Bravo à Missa 🙂
Mes contraintes pour ce texte
Placer les mots Vermeille, Margelle et Merveille
Ne pas parler de nature ou de fantôme
Faire manger un dessert à un personnage
Utiliser les 5 sens pendant les descriptions
Citer deux titres de Kyo (Il est temps et Sarah)
Lune vermeille
Lapin sur la margelle
Quelle merveille
Angelica parvient à rester stoïque en lisant le haïku que vient d’écrire sa fille. Chipie attend son avis avec anxiété et se décide à rompre le silence :
— Il est tout bidon mon haïku ?
— Pourquoi un lapin ? interroge Angelica.
— J’aime les lapins, répond Chipie en haussant les épaules.
— C’est bien pour ton âge. La maîtresse te donnera sûrement une bonne note.
— Yes ! s’exclame Chipie, en levant son petit poing au ciel. Je le recopie au propre et je vais dans la piscine !
— Pas si vite ! On doit choisir un tableau pour ta chambre, lui rappelle sa mère.
— Oh, non ! soupire Chipie en s’écroulant sur son bureau comme si elle venait d’être frappée par un arrêt cardiaque.
— Ne fais pas l’enfant, Chipie ! Il est temps de changer cette décoration. Tu rentres au collège dans trois mois.
La petite est toujours immobile, couchée sur son cahier. Elle laisse échapper son stylo qui roule sur la table. Angelica croise les bras et tapote le parquet avec son pied.
— Mademoiselle Summers, arrêtez de faire la morte !
Chipie ne bouge pas d’un pouce.
Angelica lève les yeux au ciel. Elle attend un peu et dit avec un sourire aux lèvres :
— Bon, je choisirai seule. Pourquoi pas un tableau de Dali ?
Chipie est toujours parfaitement immobile.
— Ou de Klimt.
Chipie grogne faiblement.
— Je sais : Joan Miro !
— Je suis ressuscitée ! crie Chipie en se redressant. Pas Miro ! Pas Miro ! Pas Miro ! répète-t-elle en secouant la tête, les yeux plissés par le dégoût.
Angelica quitte la chambre en disant :
— Je dois sortir les fondants au chocolat du four. Recopie ton haïku et viens goûter. Tu feuilletteras le catalogue de Sarah en même temps.
Sarah est la décoratrice personnelle des Summers. Elle a supervisé l’aménagement du restaurant et d’une grande partie de leur domaine. Angelica l’adore parce que Sarah n’a pas son pareil pour dénicher des outils européens vieux de plusieurs siècles. Chipie la déteste parce que c’est une hypocrite qui flatte sa maman pour lui vendre à prix d’or une vieille fourche en bois.
Chipie finit de recopier le haïku dans son cahier de poésie, range rapidement ses affaires et pousse son cartable sous le lit avec le pied pour ne plus le voir avant lundi.
Avant de descendre, elle prend le temps de contempler son petit domaine. La douce musique, cette petite odeur de lavande, ses étagères chargées de souvenirs… Chipie s’accroupit et caresse le parquet avec sa main. Elle sent des petites irrégularités et sourit. Ces petits trous, c’est quand elle dansait la Country avec ses chaussures à crampons. Ces rayures, quand elle découpait des fleurs au cutter sur le sol pour ne pas abîmer son bureau.
Chipie soupire devant son tableau de la reine des Neiges.
— Tu vas finir à la poubelle Elsa, confie-t-elle à la princesse qui l’accompagne depuis des années.
Chipie aime cette décoration, peu importe son côté enfantin, c’est le reflet de sa personnalité. La petite fille serre les poings. Pas question de changer son univers, elle va tenir tête à sa mère. Déterminée, Chipie descend dans le grand salon.
Angelica a tout préparé avec minutie. Au bout de la longue table en chêne, il y a un grand verre de thé glacé, une assiette avec le dessert préféré de Chipie et… le catalogue de Sarah ouvert.
Chipie s’assoit devant l’assiette appétissante. Cerné de crème anglaise, un délicieux fondant en forme de lapin dégage une bonne odeur de chocolat. Sa maman a ajouté de la chantilly parsemée de petits morceaux de noix de pécan. Chipie entame le fondant avec sa cuillère et le cœur coulant à la cerise glisse doucement dans la crème anglaise.
— Il y a des petites griottes dedans ? demande Chipie.
— Bien sûr, répond sa maman.
Chipie porte la première cuillère de fondant à sa bouche en regardant du coin de l’œil, le catalogue ouvert. Elle est bien consciente que sa mère cherche à l’amadouer, mais le délicat goût du chocolat qui fond dans sa bouche la dissuade de contester.
— C’est de qui cette peinture ? demande Chipie en pointant le catalogue ouvert avec sa cuillère.
— Dancing Fairies d’August Malmström, répond Angelica fière de son choix. Ce serait parfait pour toi puisque tu aimes les fées.
— Mais moi, j’aime la fée Clochette, pas les fées des vieux peintres, dit Chipie en prenant une autre cuillère de fondant.
— Je trouvais que c’était un bon compromis. Un relais entre la petite fille que tu étais et l’adulte que tu seras.
— Quand je serai grande, j’aimerai toujours les Disney.
— Tu dis ça aujourd’hui, mais quand tu seras adulte, tu apprécieras ce genre de peinture.
Chipie repousse temporairement son assiette pour prendre le catalogue et regarder en détail la peinture. Angelica n’ose pas interrompre la contemplation de sa fille, mais elle croise les doigts pour que Malmström déclenche un déclic chez elle.
— C’est vrai que c’est joli pour un vieux tableau, constate Chipie.
— Sarah peut demander une copie à un peintre suédois. Elle sera réalisée sur place au musée national de Stockholm, rien que pour toi.
— Ça va coûter cher ? demande Chipie.
— Ça n’a pas d’importance. Je ne veux pas qu’à dix-huit ans, la porte de ta chambre soit toujours ornée d’une affiche de la petite sirène.
— J’ai pas Ariel sur ma porte ! s’étonne Chipie.
— Je parlais d’une autre petite fille moins chanceuse que toi. Certaines n’ont qu’un seul poster dans toute leur vie.
— Un seul poster, c’est trop triste, chuchote Chipie.
Elle reprend son assiette et mange doucement son fondant. Angelica la trouve bien songeuse et sent que quelque chose tracasse sa fille :
— Il y a un problème, Chipie ?
— Je peux te poser une question, Maman ?
— Mais bien sûr.
— La petite fille avec un seul poster… C’était toi ?
Angelica reste figée un court instant. Elle referme le catalogue de Sarah et va le poser dans la bibliothèque la plus proche.
— Je l’avais récupéré chez une amie qui voulait le jeter, explique Angelica sans se retourner. Je n’avais aucune décoration dans ma chambre, j’étais tellement contente, je me souviens encore du jour où je l’ai mis.
— Tes parents t’ont laissé mettre un poster ? demande Chipie qui connaît la sévérité de cette partie de la famille.
— Mon père m’a battue parce que j’avais mis des punaises sur la porte, répond la maman comme si elle parlait de la pluie et du beau temps. Il l’a arraché plusieurs fois sur des coups de colère, aussi.
— Il a déchiré ton poster ! s’indigne Chipie.
— J’arrivais à le réparer avec du scotch et je le remettais à chaque fois. Je l’aimais bien ce poster. Quand j’ai fugué, je l’ai même emporté avec moi pour qu’il ne finisse pas à la poubelle.
— Tu l’as toujours ? J’aimerais trop voir le poster de ma maman.
— C’est loin tout ça, dit Angelica en balayant ces mauvais souvenirs d’un geste de la main pour mettre fin à la conversation.
Chipie est embêtée. Elle sait que sa maman a eu une enfance difficile et qu’elle n’aime pas en parler. Elle fouille dans son fondant avec sa cuillère et en sort trois petites cerises qu’elle lui tend en disant :
— Tu veux mes griottes ?
Angelica sourit et s’approche de sa fille. Elle pose sa main sur son épaule.
— Je ne veux pas de griottes. Je veux que ma fille puisse en avoir à volonté chaque jour.
— Si ça te fait plaisir, je suis d’accord pour le vieux tableau avec les fées, dit Chipie en tapotant la main de sa maman.
— C’est vrai ? s’exclame Angelica ravie. Il te plaît ?
— On peut le mettre dans ma chambre, répond Chipie.
Le samedi suivant, en revenant du club d’équitation, Chipie reconnaît la voiture de Sarah devant la maison. Elle lui apporte probablement le tableau. Chipie s’est bien préparée pour ce moment. Elle ne veut pas décevoir sa maman et, même si elle déteste ça, elle est prête à faire semblant d’être contente.
Chipie entre timidement et mets ses chaussons. Elle se dirige ensuite vers le petit salon, guidée par le rire de Sarah. Les deux femmes prennent le thé.
— Je suis de retour, maman, annonce Chipie d’une petite voix. Bonjour madame.
— Bonjour, mademoiselle Summers. J’avais hâte de vous montrer votre tableau, lui répond la dame en tailleur.
Chipie remarque un grand emballage de papier kraft, posé contre le mur.
— Tu peux l’ouvrir, dit Angelica en s’adressant à Chipie.
Sarah et Angelica se lèvent et viennent dans le dos de Chipie pour guetter sa réaction. Chipie arrache d’un coup le papier kraft. Dans un joli cadre, sous une belle vitre, il y a… un poster d’Ariel !
— C’est le poster de ma maman ? demande Chipie en regardant Sarah.
— La restauration n’a pas été facile, mais c’est bien lui.
— J’ai cru comprendre qu’il te plairait mieux que le tableau que tu avais choisi, dit Angelica en s’approchant.
Chipie a encore un bout de papier kraft dans la main, elle sent les larmes venir à ses yeux et se jette dans les bras de sa maman.
— Oh merci ! L’autre tableau je le voulais pas, maman. Je voulais te faire plaisir et faire semblant de l’aimer, mais je le voulais pas.
— Je sais, répond la maman en tapotant la petite tête blonde. Désormais, tu pourras toujours choisir ta décoration et tu grandiras à ton rythme.